Interview by Gabrielle Baglione, Responsable du secteur des collections, Musée d’Histoire Naturelle, Le Havre

Nathalie Hartog-Gautier
Entretien

Vous êtes d’origine française et vivez et travaillez en Australie depuis 30 ans. Comment qualifiez-vous l’incidence de cette double culture sur votre travail ?

Je crois que l’on ne peut pas échapper à l’influence de la culture de son pays de naissance. Il ne s’agit pas de comparer deux pays la France et l’Australie, ce serait une erreur mais, comme une éponge, d’absorber une autre culture et finalement de créer sa propre identité biculturelle.

Quand je suis arrivée en Australie j’ai découvert un paysage déroutant, aussi bien par ses couleurs que par sa lumière. Un paysage grandiose dont il faut observer les détails, sa botanique si sculpturale, les couleurs de la terre qui peuvent être si rouges, si ocres et noires comme son charbon.

C’est cette dichotomie qui inspire mon travail. « Sur l’humus de la mémoire (je) plante, propage et (je) transplante» (François Hartog, catalogue de l’exposition “Scanning Memories”).

Des séjours dans des résidences d’artistes m’ont permis de m’immerger dans ce paysage et de développer des projets témoignant mon attachement à ce nouvel environnement. J’ai pu observer les changements dans le paysage, conséquences et traces de l’immigration. Cette observation m’a entrainée dans le sillage du voyage des colons, me conduisant à m’intéresser à leur botanique et à la zoologie européennes qu’ils ont importées avec eux, transformant l’environnement, introduisant une nouvelle écologie. Ces observations ont influencé mon travail d’artiste et m’ont conduite à me poser la question de l’appartenance et de l’identité dans mon pays d’adoption. Ces fils conducteurs tels des aiguilles qui retissent, brodent le sol, m’amènent ou plutôt m’entrainent du voyage des explorateurs, vers mon propre voyage de découverte de cette terre ancestrale.

Les œuvres sélectionnées Stratification et Fissures évoquent la terre australienne, le sol et le sous-sol. Pourquoi cet intérêt de votre part pour ces environnements et leurs spécificités ? Que voulez-vous signifier par ces œuvres ? 

Les œuvres Stratification et Fissures (Ces) sont le résultat de mon travail dans deux résidences d’artistes, l’une à Hill End en Nouvelle Galles du Sud, village qui fit partie de la ruée vers l’or, et BigCi dans les Montagnes Bleues.

Lors de mon premier séjour à Hill End, une compagnie minière continuait la prospection de l’or, en espérant trouver, elle aussi, une grosse pépite. Elle testait le sous-sol en échantillonnant les profondeurs. Toutes les carottes de forage étaient ensuite divisées sur des plateaux avant d’être testées pour leur quantité aurifère. Je pouvais observer la stratification de la terre et la diversité de ses couleurs. Je descendais dans ses tréfonds et travaillais avec la terre glaise grise que l’on ne trouve qu’en profondeur. J’ai aussi collectionné la terre glaise trouvée tout autour de Hill End : rouge, ocre, jaune et blanche.

Durant ma résidence dans les Montagnes Bleues, j’ai travaillé avec un défenseur de l’environnement qui nous emmenait dans le « bush » pour observer les changements dans le paysage dus à l’exploitation des mines de charbon, notamment les fissures des « pagodes » nom donné aux monolithiques. J’ai également collectionné des échantillons de charbon.

A la suite de mon séjour dans ces deux résidences, mon travail de création a connu un tournant et j’ai voulu montrer la terre australienne.

J’ai choisi de faire mon propre papier, toutes les feuilles sont de la même taille, font référence à une histoire, à un livre dont la tranche raconte l’histoire de la géologie, en laissant apparaître des pages de couleurs, des pages à écrire et des pages noires.

Les 3 œuvres encadrées « Fissures » sont également de la même taille de papier et font partie d’une plus grande installation. Comme des détails des pages d’un livre, elles surlignent l’histoire, du blanc et du noir, de la mine de charbon et son environnement, des fissures réelles et métaphoriques.

Vous recréez des pigments et élaborez vos propres papiers. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre intérêt sur ces matériaux et les processus de leur création ce qu’ils évoquent dans votre travail ?

J’aime travailler sur papier, surtout faire mon propre papier. C’est un long processus qui permet de choisir la qualité du papier avec lequel je vais travailler. Cela me permet aussi de choisir sa taille ainsi que son poids c’est à dire son épaisseur. La tactilité du papier « fait main » le rend plus malléable et m’aide à faire des moulages et ainsi de reproduire des murs entiers en appliquant le papier nouvellement formé sur sa surface et d’en enregistrer les détails ou d’utiliser seulement la pulpe en sculpture pour mouler également des bouteilles. Le papier, à lui tout seul, et de par sa transformation, devient objet d’art.

Tout comme le papier, l’utilisation de pigments est un processus de création. Peut être à l’inverse du papier, qui est un produit fini, je commence avec une plante pour en extraire sa couleur, je pars du sol pour en extraire sa couleur.

Je pars d’une idée, inspirée par mes explorations du « bush » australien, de sa composition. Je regarde, j’observe.

Le point de départ est souvent historique, comme le voyage des explorateurs vers l’Australie et leur interaction avec le paysage avec une œuvre « couleurs du paysage». C’est un travail qui est en perpétuelle évolution. Plus de trois cents cercles de papier fait main, rappelant les pointillés d’un itinéraire et chaque point est une plante soit australienne, soit importée ainsi que le pigment du sol sur lequel elles poussent.

Il est également politique lorsque pour évoquer la déforestation, je travaille aussi sur de grandes feuilles de papier « fait main » qui me permettent d’utiliser le pigment des eucalyptus.

Vos travaux évoquent régulièrement la thématique de la collecte et celle de la mémoire.  Que représente pour vous la collection de dessins de l’expédition Baudin du Muséum du Havre ?

Il y a quelques années, je m’étais intéressée au voyage de Lapérouse qui était arrivé en Australie quelques jours après l’établissement d’une colonie par Capitaine Phillips, l’Australie était son dernier port d’ancrage connu et j’avais imaginé ce que l’artiste, Duché de Vancy à bord de la frégate, aurait exploré.

Je suis une immigrante en Australie sur une terre qui m’était inconnue, ce qui m’a entrainée aussi dans un voyage d’exploration personnelle.

Une des missions de Baudin était de rechercher des informations sur Lapérouse. La géographie de l’Australie ainsi que la botanique australiennes portent les noms des membres de l’équipage. L’expédition Baudin est revenue avec des documents très détaillés sur la faune et la flore australiennes, des dessins qui non seulement sont d’une grande qualité esthétique mais aussi historique. Lors d’une résidence au Musée d’Histoire Naturelle du Havre, le temps m’a été donné de pouvoir détailler la finesse d’exécution de ses dessins surtout en pensant que Lesueur n’était pas à bord en tant qu’artiste mais en tant qu’artilleur!

Si le rôle de l’artiste à bord était d’enregistrer les nouveautés botaniques et zoologiques, de témoigner de ses rencontres avec les indigènes, le nombre de ses dessins me fait penser que Lesueur a dû être fasciné par le paysage australien et par les traditions de ses habitants.

L’envie de découvrir, d’essayer de comprendre l’histoire de l’Australie, d’explorer, de regarder, de se laisser porter vers des découvertes artistiques au travers différent médiums m’ont amenée à établir ce parallèle.